LE SONGEUR EN CHIMERIE

LE SONGEUR EN CHIMERIE

SOUVENIRS : TES CHEVEUX

Je suis assis à mon bureau, devant ma vieille machine à écrire, près de la fenêtre, et le vent pousse doucement les rideaux dans ma direction. Le hasard joue avec le nylon qui vient effleurer mon cou et mes épaules, alors je ferme les yeux et je pense à toi... Tu venais m'embrasser sur la joue pendant que j'écrivais mon livre et tes longs cheveux châtains venaient me caresser, comme ils étaient doux. De la main droite je les prenais en m'enfouissant le visage dedans, m'enivrant de ton odeur de femme. Je crois qu'il n'y a rien de plus apaisant, de plus féminin, de plus originel, que de se câliner entre les cheveux longs ou les seins lourds d'une femme aimée. J'avais pris cette habitude de sentir les mouvements de tes cheveux précédant mon baiser.

 

Petit à petit ton côté "intellectuelle rebelle" s'est affirmé, je m'en souviens. Tu allais tous les mardis dans une cinémathèque proche du quartier étudiant, et le vendredi soir était réservé aux longues discussions politico-philosophiques dans un petit café littéraire où toi et tes amis refaisiez le monde. Au lieu de tes fines lunettes, tu avais acheté tes "yeux de chouette" comme tu les nommais, de grosses lunettes qui te donnaient un air plus "intello". J'ai commencé à souffrir de ton indifférence à cette période là.

Je me souviens du poster reprenant une sérigraphie d'Andy Warhol que tu avais punaisé au dessus de notre lit tout en sifflotant "Hasta siempre", Che Guevara ignorait nos ébats, le regard perdu au loin sur la ligne bleue de la cordillère des Andes.

Un soir tu étais rentrée après avoir vu un film, "Diarios de motocicleta", qui t'avait exaltée. Je ne te reconnaissais plus. - "Moi aussi je veux écrire mes carnets de voyage, partons tous les deux en moto, là-bas, en Argentine, au Pérou, non, à Cuba! Faisons notre "Easy Rider" à nous! Si tu m'aimes, je t'en prie....". Et malheureusement je t'aimais.

Ce soir-là, tu avais coupé tes cheveux comme un garçon, "plus pratique pour voyager".

 

Finalement, notre arrivée à La Havane n'était pas en moto mais dans un vieux bus Viazul dont j'appréciais l'air conditionné. Je te regardais boire la ville de tes yeux assoiffés, t'émerveillant devant une vieille Oldsmobile ou une Buick de 1953 aux chromes clinquants. Les maisons, les couleurs, la place de la Cathédrale.

Nous avions pris une chambre dans un hôtel proche de la Plaza Vieja, et déjà la ville s'enflammait d'une atmosphère de fête, nous étions un 25 juillet, la veille du "Día de la Revolución".

Le soir, après une assiette de langoustines de Veradero arrosées de canettes de Cristal bien fraîches, nous avions été danser près de la baie. Tu avais l'air si heureuse, je l'étais forcément moi aussi.

 

Le lendemain était fou, la ville était en fête, des affiches partout, des chants, de la musique. Pour l'occasion, tu avais acheté, avant de partir, une robe Malam faite de taffetas léger aux tons changeants, en te regardant j'avais un peu l'impression de voir un jeune garçon habillé en fille, j'en étais à la fois troublé et gêné.

Nous avions passé une partie de la journée sur la Place de la Révolution, à l'ombre de cet immense monument, au coeur de milliers de personnes en liesse. C'est là que nous l'avions rencontré.

Il s'appelait Manuel Pablo, au début il ne m'avait pas vu, il ne voyait que toi, tel un aigle qui à 1000 mètres de hauteur voit sa proie. Je l'ai tout de suite détesté.

 

Il était originaire des Caraïbes mais vivait en France, il était métisse, café-crème brûlant, aux yeux bleus-vert, un charisme incroyable, habillé d'une chemise de soie rouge et d'un pantalon blanc aux couleurs de son Orisha, je l'ai appris plus tard.

Il faisait partie des "Brigades du Che", au début je pensais à un truc militaire mais c'était en fait un institut cubain qui organisait des rencontres entre les pays pour aider et faire connaître le peuple par un travail solidaire.

Bref, tu buvais ses paroles alors que j'en écoutais une sur deux... Vous aviez dansé, il te disait à l'oreille les paroles d'une chanson de Pablo Milanés.

Il écrivait lui aussi, des nouvelles, des poèmes, des trucs un peu fous, surréalistes, des histoires de magie.

Il avait trouvé la corde sensible en toi, l'aventure, l'exotisme, amor y muerte, le mystère...

 

Alors que la nuit tombait sur Cuba et ses salsas, ses paroles murmurées près de tes lèvres évoquaient ses origines, ses croyances, il te parlait de Santeria, de magie Neg', de Vaudou...

Et tous ses mots étaient des tisons qui faisaient danser des flammes dans tes yeux, toi qui déjà te baignais nue dans l'eau bleue de ses pupilles.

Il nous avait guidé dans les rues de la Habana Vieja, là où de vieilles femmes fument le cigare en égorgeant des poulets, là où se dressent des autels pour la Vierge noire des eaux, là où autour d'un feu allumé pour Changò les rythmes des tambours finissaient de te rendre folle. Moi c'était l'alcool que je buvais qui me faisait tutoyer les dieux.

 

Tard dans la soirée, tu étais venue me parler alors qu'il nous raccompagnait vers notre hôtel. "Tu sais... Il voudrait faire un truc à trois... moi j'aimerais bien... Si tu m'aimes..." et bien sûr je t'aimais..

 

Le soleil s'était levé sur notre union, ses rayons éclairaient tes fesses qui se pressaient contre son ventre musclé, à genoux tu lui offrais ce que tu m'avais longtemps refusé. Ses mains tenant fermement tes hanches, il me regardait alors que ta bouche s'occupait de moi, seuls ses yeux bleus éclairés par le soleil ressortaient dans la pénombre, à ce moment-là j'ai cru voir le diable en personne.

Je t'ai regardé jouir, le plaisir qu'il te donnait déformant ton visage. Et pendant que la fumée de vos cigarettes se colorait de feu dans la lumière d'un soleil naissant, moi je pleurais sous la douche comme un enfant.

Le chant d'un coq sur le marché proche signait ma décision, je t'aimais trop pour pouvoir continuer à t'aimer, étrange paradoxe.

 

Je suis rentré seul à la capitale où j'ai trouvé les mèches de tes longs cheveux de soie qui étaient encore dans la corbeille de la salle de bain. J'ai voulu les sentir, mais ils n'avaient plus ton odeur, mais la sienne.

 

Je ne sais pas où tu es, et si tu cours toujours après les éphémères de feu, les rêves de révolution, et les tambours des Saints, mais je sais que quand on aime trop on aime mal, et quand on n'aime pas assez on se noie dans les eaux bleues-verte des yeux des beaux étrangers.

 

Je t'aime toujours toi et ta coupe de garçon manqué, ton coeur de beurre et ton coté "intello" pas sûre d'elle. Je t'aime. Sûrement plus que lui.

 

Lui, je sais qu'il est rentré en France également, et qu'il écrit des textes érotiques sur un forum connu.

 

Moi j'ai arrêté d'écrire... le vent ne pousse plus les rideaux de ma fenêtre pour venir me caresser la joue.

 

LeSongeur 2009 +

 

(Le texte sur Auféminin.com...)



11/02/2010
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