LE SONGEUR EN CHIMERIE

LE SONGEUR EN CHIMERIE

LE CHAT SANS NOM

Ce chat est un chat qui voulait se donner, abandonné, il avait trouvé refuge sous la maison que j'avais louée, la nuit on l'entendait miauler, de terribles pleurs félines, il sortait tous les matins, couvert de toiles d'araignées, de poussière. C'était alors de continuels petits cris, des appels, miaulements à fendre le coeur, appelant les maîtres qui l'avaient rejeté.

Voyant qu'il faisait les poubelles, le corps entier enfui dans les ordures, seul un gros derrière et deux pattes qui dépassent, je lui ai donné, un bol de lait, un peu de thon à manger, tout frais sortit de la mer, que j'avais pêché. Il mangeait jusqu'à plus faim, faisait sa toilette, puis se ravisant, venait redonner de la dent et de la langue sur le poisson appétissant. Puis, gavé, somnolant de satiété et de ses nuits sans repos, il s'écroulait comme une masse le poil brulé par un soleil au zénith.

Ce chat a vu en moi un sauveur, un espoir, tellement d'amour à recevoir et à donner. Une oreille attentive à ses malheurs de chat et ses réflexions sur les humains, ses maîtres, qui sont décidément bien ingrats.

En langage chat il me parlait, parfois pendant des heures, modulant les miaulements, donnant couleurs à ses tirades, de tous les chats j'étais tombé sur un poète, un philosophe, que j'ai du mal à comprendre. Alors, sans doute réalisant soudain, il fermait à demi les yeux, comme pour dire "C'est pas grave, un jour tu me comprendras bien, toi qui nous aimes..." et il sautait de ma table où j'avais installé ma machine à écrire pour aller courir après un papillon arc-en-ciel. Dans ma vie, à pas de chat, il est entré.

Il dormait dans mon lit, sur l'oreiller, collé à ma tête, je l'entendais respirer. J'entendais ses rêves, ses cauchemars, revivant sans doute le moment, où par la fenêtre d'une voiture, il a été jeté. Parfois au coeur de la nuit, un frémissement de muscle, la peur qui réveille, un souvenir trop récent, il se dressait d'un bond, regardant dans la nuit. Je me levais alors pour prendre un verre d'eau, respirer les odeurs venant de la mer ou des palétuviers, prenant à pleins poumons des parfums de sels, de fruits mûrs, de terre mouillée. Quand je revenais me coucher, il était là dans la pénombre, deux yeux verts qui me guettaient, et je l'entendais presque dire "Ah, tu reviens, alors c'est bien..."

Jamais une griffe ne sortait de sa patte, jamais un regard de dédain, un feulement de colère, non, il était tout amour, et tête qui se frotte, contre ma joue, contre ma main.
Un peu d'Eden à la portée de ma main. Un paradis perdu où bêtes et hommes sont frères, unis dans le même but, être heureux l'un de l'autre.

Mon séjour s'étirant, faisant passer les jours, l'approche d'un départ devenait préoccupante. Il était impossible pour moi de l'emporter, trop de contrainte, quarantaine, sécurité. Traverser de nombreuses villes, par avions ou bateaux, souvent bien loin de paradis perdus. J'ai demandé autour de moi, une dame le voulait, une dame à chats. "Oui, je vais m'occuper de lui, il sera comme un roi, je le promets, ne vous en faites pas." Et en effet, je la voyais, tous les matins déposer, un bol de lait, des morceaux de porc sauvage, amoureusement cuisinés dans de la crème parfumée. Si bien que rapidement, mes pêches n'avaient plus préférences et mon ami chat me faisait quelques infidélités. Rassuré, je pouvais m'en aller.

Il a un peu suivi ma voiture, et puis il s'est lassé, retournant chasser les papillons, ceux du destin, que je connais. Il serait faux de dire que je n'ai pas eu de pincement au coeur, de boule dans la gorge, moi qui sentais contre ma joue sa chaleur de cette nuit. Quelques mois après, enfin de retour à une adresse où je pouvais recevoir du courrier, j'ai eu des nouvelles.

La dame l'a nourrie, pendant quelques semaines, puis elle est partie, mais ne l'a pas emporté, oubliant sa promesse ou réalisant comme moi les difficultés des contrôles sanitaires. Il est resté seul, à faire les poubelles, et à miauler, sans doute pestant contre ses humains qui reprennent si vite l'amour qu'ils donnent. Et puis d'autres personnes sont venues, d'autres qui donnent à manger, qui s'intéressent à lui, pendant quelques semaines. Certains se sont sans doute plains des miaulements nocturnes, des poubelles renversées au matin.

La propriétaire des logements, un jour en a eu marre, des services de la ville elle a appelé. Sans collier, sans tatouage, un jour d'octobre, il a été euthanasié...


Sans amour, sans justice, ni procès...

Le chat sans nom...  De lui je n'ai gardé, que deux photos, celle-ci, et une autre, où il a sa patte dans ma main. Bien en sécurité.

Toutes mes photos sont des souvenirs, des petites portes de vie, sur un passé qui me manque. Celui de mes erreurs et des amours trahies.

 

 

LeSongeur 2010



27/05/2010
14 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 20 autres membres