LE SONGEUR EN CHIMERIE

LE SONGEUR EN CHIMERIE

LE JOUR DES AMANTS 1

(La réalité)

Un jour, près de Linxia, en Chine, au pied des grands plateaux de cultures aux mille couleurs, je venais de finir un très vieux livre "Notes chimériques" de Wu Zimu. La belle et très timide Xin Bai, chez qui j'étais locataire, est entrée dans ma chambre avec un thé aux chrysanthèmes. Elle a vu le livre posé sur la table de laque rouge, et tout en remplissant ma tasse, m'a dit dans un anglais très approximatif:

"Toi qui aimes les coutumes et légendes. Demain c'est Qixi, la fête du double sept. Le jour des amoureux. Tu dois chercher femme pour qu'elle te couse un vêtement. Tu dois aller sur la route du temple, haut dans la montagne. Si tu réussis à t'emparer des vêtements d'une fée, cette fée deviendra ta femme..."
Et les yeux plissés, la main devant la bouche, elle s'était mise à rire comme un enfant qui vient de faire une blague.

Où pouvais-je trouver une fée en plein coeur de la Chine?

Alors le lendemain, par curiosité, j'ai rempli un sac de Banh Bao farcis de viande laquée, et de quelques Man Dao pour les singes que je pourrais rencontrer. Assez de vêtements pour me tenir chaud, et de bonnes chaussures de marche. Et j'ai commencé à me diriger vers le lac de Liujiaxia...

Après des heures de marches et de longues pauses, je n'avais encore pas trouvé de fée, mais en revanche j'avais eu beaucoup de mal à me débarrasser des petits voleurs velus avides du pain que je transportais pour eux. Petit à petit la nuit tombait et ma ballade se faisait plus hasardeuse.

C'est au niveau de la rivière Xiahe que j'entendais couler assez proche que je vis une petite maison un peu semblable à celle d'un conte de Grimm. Je demandais à un vieil homme à qui il ne restait qu'une seule dent si je pouvais faire une halte pour me reposer un peu, j'essayais de lui faire comprendre que j'aurais besoin d'un peu d'eau, et je pensais peut-être récupérer quelques infos sur un temple qui pourrait se trouver dans les environs. Il ne parlait qu'une forme de dialecte, du Xiang peut-être, impossible de se comprendre, du coup les signes et le mime devinrent le seul moyen de communiquer.

Je n'arrivais pas à faire comprendre le mot "fée", je me demandais même si en Mandarin il pouvait exister un mot pour dire cela. J'essayais par gestes de lui décrire une femme particulièrement extraordinaire, mais tous mes gestes ne servaient qu'à l'embrouiller. Je comprenais qu'il essayait de me dire qu'il n'en était pas une, que les femmes c'était en ville qu'on pouvait en trouver, et que certaines moyennant argent pouvaient surement faire quelque chose pour se besoin que j'avais qui lui semblait si important. Pour un peu je serais devenu propriétaire d'une de ses poules en cas de nécessité absolue, les étrangers sont si bizarres pour un vieux fermier chinois...

Bref, j'allais abandonner.... je devais passer pour un fou, chose dont j'ai hélas l'habitude moi qui aime suivre mes rêves. Mes dernières mimiques furent pour évoquer la magie des fées, la magie des légendes. D'une main je faisais semblant de faire apparaitre quelque chose qui ferait rêver...

L'homme devient très agité, me parlant très vite, avec une foule de gestes. Il m'entraina dehors, pris une pierre sur le sol, et fit les mêmes gestes que moi pour indiquer la magie...
Puis il me montra que je devais jeter la pierre en l'air... Au début j'eus du mal à comprendre cela et il s'énervait, gesticulant en tous sens.

Au bout d'un moment, de bonne grâce je jetais mollement la pierre en l'air, qui retomba bêtement sur le sol... Le vieil homme la regarda, me regarda, hocha négativement la tête, et tout en me parlant toujours dans un langage que je ne comprenais pas, il me demandait de relancer la pierre vers le ciel... Je le fis.... une fois... deux fois... trois fois.... toujours avec le même résultat.

Je commençais à en avoir assez et voulant être de retour à Linxia avant la nuit, j'essayais de lui faire comprendre que tout cela ne m'intéressait pas vraiment.
Alors, il prit la pierre qui était tombée dans la neige, la même pierre, j'en suis sûr. Il la lança en l'air et elle retomba sur le sol. Sauf qu'elle était devenue dorée....

Je suis resté un moment interloqué.. puis j'ai compris que c'était un bête tour de magie, un échange rapide avec une pierre semblable peinte en doré. L'homme riait de toute sa dent, et je crois qu'à Hong Kong on devait l'entendre rire. Il riait, riait... tout en glissant la pierre au fond de mon sac à dos.
Il riait encore quand je descendais la pente en direction du village.

Je n'avais pas trouvé de femme, et encore moins de fée. Et assurement personne pour me tricoter un vêtement. Je ne voyais pas de sens à cette coutume, moi qui aime chercher le pourquoi des légendes.

La nuit tombait et faisait bleuir la neige, j'entendais dans les arbres quelques jappements, sans doute les singes voleurs qui se sont élus rois.

En regardant le ciel j'essayais de chercher Altaïr et la belle Véga, la Tisserande et le Bouvier, couple de légende qui ne peuvent s'unir qu'une fois l'année...

De retour dans ma chambre, fourbu, gelé, je vidais mon sac avant de me coucher. Au fond de celui-ci je trouvais la pierre, lourde, magnifique. Avec mon couteau j'essayais de gratter la couche de peinture, je n'ai pas réussi. Alors, je me suis endormi, avec la pierre serrée dans le poing, en pensant au vieil homme qui devait rire encore...

Cette nuit-là, j'ai fait le plus beau et le plus étrange des rêves, j'étais un prince, le fils de l'empereur, et j'aimais une très belle princesse, la fille de l'aube et du soleil. Nous étions dans un palais de cristal et de marbre vert que les quatre vents venaient visiter. Nous prenions nos bains dans de grandes baignoires d'émail dans une eau parfumée dans laquelle flottaient des centaines de pétales de fleurs. Je me souviens encore de ce rêve. Bien des années après. J'en parlerais un jour.

Quand je me suis réveillé, je me sentais si heureux, comme quand on est amoureux, je ne peux pas expliquer ce sentiment, j'étais bien, plein d'espoirs, de joie de vivre.

Et en regardant par la fenêtre le jour qui se levait, je vis que dans la nuit une araignée avait tissé une magnifique toile d'une taille et d'une perfection impressionnante. La rosée avait déposé sur la toile des milliers de petites gouttes d'eau qui avec le froid s'étaient changées en perles de glace.
C'était un magnifique collier de diamants naturels qui brillait dans les rayons de l'astre naissant.
Ils brillaient de mille feux dorés et rouges et je pensais en moi même que finalement la Tisserande avait bien tissé quelque chose pour moi.

J'avais appris une chose de cette journée. Que l'amour devait venir de moi, avant d'aller le chercher chez les autres en une hypothétique quête. Et aussi que je ne devais jamais perdre la faculté de voir en la plus petite chose le plus beau des miracles.

Une simple araignée avait changé le matin en or, comme le vieux l'avait fait avec sa pierre.

L'or de la vie... 

LeSongeur 2010

(Le texte sur Auféminin.com...)



07/03/2010
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