LE SONGEUR EN CHIMERIE

LE SONGEUR EN CHIMERIE

MON CONTE DE NOEL (2) Première partie

 

Le Chateau du Diable.

(Souvenirs: Mon conte de Noël (2))


----- Premiere partie -----



Le vagabond n'est pas resté, il s'est levé, il a refusé l'argent que ma grand-tante lui a tendu, une grosse poignée de billets froissés sortis un peu à la hâte. Il a levé la main au niveau de son oreille, comme pour dire "Stop, plus rien, j'en ai trop entendu, trop vu".

Je n'ai rien osé dire, tout aurait été... insultant, il me semble. J'étais en fait figé de honte, je me suis rendu compte après que j'avais fait semblant de ne pas avoir compris, bredouillant des "Hein? Il s'en va? Quoi? Comment?"...
Comme un gosse pris la main dans le sac de bonbons.

Il a juste enroulé son écharpe autour de son cou, cachant sa barbe sale, redevenant personne. Il me semblait soudain si vieux, si courbé, si fatigué.

Comme un rêve il a ouvert la porte, je n'ai même pas senti l'odeur du froid, la claque glaciale qui m'aurait fait dire quelque chose, n'importe quoi, peut-être un "je t'aime" ou bien un "je te hais", je n'en sais rien. Quelque chose...

Il est juste à nouveau sorti de ma vie. Encore une fois.


Et les mois ont passé, rentré sur Paris j'avais sans cesse l'impression de le voir, de le croiser dans la rue, chaque sans-abri me renvoyait son image.
Un jour j'ai vraiment cru le voir, mais c'était juste ma peine qui dessinait ses traits sur le visage d'un pauvre hère. L'homme était assis par terre, dans le froid de février, souriant aux passants. Il ne demandait rien, il offrait son sourire, aux gens gênés qui essayaient de ne pas le voir. Je me suis assis à côté de lui, on a discuté, sur ce qui nous manquait. Moi un père, une famille, un équilibre, lui juste de quoi nourrir la famille qu'il avait. On a parlé en anglais, il venait de Mandu en Inde, il avait été professeur là-bas. Ensemble nous avons regardé le torrent de la vie passer dans les caniveaux, ensemble nous avons souri aux passants aveugles. Deux frères perdus dans les aléas du destin.

Mais le temps est assassin, et la fuite des semaines s'occupa de faire pâlir dans ma tête les visages de ma grand-tante, de mon père, ou de l'homme de Mandu.
Ne reste que le travail, les émissions stupides, les expressions fermées des inconnus dans le métro, petit à petit par mimétisme on devient eux-même, une forme grise vivant selon le vent.

A l'arrivée du soleil et du temps des vacances, j'eu un coup de téléphone d'un mien cousin, copie conforme de Jacques Tati qui la pipe à la bouche marmonna une invitation pour la première communion de son fils. Bien sûr, on fera ça à Châteaudouble, comme pour son mariage, et tous les événements de sa vie.

J'ai toujours un peu de mal à l'imaginer chef de famille, père de sept enfants, et directeur de banque, lui que j'ai connu faisant des batailles de bouses de vache, ou descendant en vélo les rues en pente pour finir cul par-dessus tête sur le gravier de la place, les genoux couronnés et le rire bête aux lèvres.

C'est toujours dans le même restaurant que nous fêtions ces réunions de famille, que ce soit pour l'aïoli du mois d'août ou les jours de grand soleil qui parfume le pistou.
Sous les glycines, la tour du château nous surveille, imposante, j'aime bien la voir alors que j'ai le nez tout plein des senteurs de cette belle provence.

Quand j'étais petit, on allait parfois prendre du lait à l'étable, on empruntait pour cela le chemin du Thouron et je voyais dans la nuit naissante se découper la forme sombre de cette tour, celle du château du diable! C'était le coeur battant que j'essayais de ne pas entendre les cris des engoulevents.
Un des enfants, plus vieux que moi, me racontait qu'en haut de la tour se trouvait la porte des enfers, découverte par Nostradamus passé un jour en ces murs. Le bon lait chaud qu'on buvait au retour et qui nous laissait une moustache de crème valait bien qu'on affronte quelques périls, si vite oubliés sous les couettes de plumes.

C'est donc début juillet que je me retrouve à la gare où mon cousin doit venir me chercher dans sa vieille DS qui marche on ne sait comment. Toute la famille est là, sauf ma grand-tante qui est fatiguée et n'aime pas trop les affaires religieuses. Les enfants courent sur la place, les hommes parlent de football devant un verre de pastis, les femmes se mettent à l'ombre, surveillant tout ce beau monde. A chaque fois, j'ai l'impression d'entrer dans un film de Pagnol. Le temps ne s'écoule pas ici, il caresse juste les fruits pour les faire murir, il fait juste grandir un peu les enfants qui délaissent les ballons et les poupées pour aller se bécoter à côté du vieux puit près de l'église. Mais il n'atteint pas les gens, les murs, les coutumes. Je vois comme si c'était hier, là près des agaves, les marches où je m'asseyais petit, je déposais des demies coquilles de noix dans l'eau du caniveau, avec ses voiles de papiers piqués d'un cure-dent le frêle esquif partait pour les colonies, pour revenir chargé de trésors et de magie. Petit rêveur que j'étais, je voyais monter les chasseurs qui revenaient des champs, le verbe haut, la parole forte, les joues rouges du vin des besaces, ils déposaient les animaux tués à côté de moi et s'engouffraient dans la fraicheur du bistrot qui sentait le zinc et le tonneau. Je prenais alors sur les genoux un lièvre, ou un magnifique faisant. Je caressais doucement le bel animal, encore chaud, qui semblait dormir et qui tachait mes culottes courtes de petites étoiles de sang.

"Allez l'artiste, reprends donc une mominette et viens donc nous raconter ton Paris de fadas, on va bientôt passer à table, j'espère que tu as faim, qu'on dirait que tu manges du chien maigre tellement tu as les yeux noirs comme des ronds de chapeau!!"

Là-bas, on ne peut pas juste dire "Tu as l'air fatigué", non, il faut que chaque phrase devienne un poème, une chanson.

Alors, comme des dizaines de fois, sous la surveillance de la tour du diable, accompagné du chant des cigales, on savoure la broufade ou le canard à la lavande, la pichade de Menton, ou le papeton d'aubergines ou de courgettes.
La bonne humeur est communicative et les bouteilles de Côtes de Provence font enfler les rires pour chaque blague racontée, ne réveillant pas les plus petits qui dorment dans les bras des mères, épuisés par ces repas trop longs.

Il est presque trois heures quand nous sortons de tables, certains repartent chez eux, d'autres viennent avec nous pour saluer la grand-tante.
Quand j'arrive devant l'imposante maison, rien à changé, il y a toujours la grosse lampe en fer forgé au dessus de la porte, la vigne vierge qui grimpe sur le mur, l'odeur de lavande qui pousse pas très loin.

A l'intérieur, ça sent la cire, les haricots verts qu'on vient d'écosser, le pain d'épice qui vient sans doute d'être ouvert pour les enfants. La grosse horloge est toujours là, son bruit domine, comme le coeur de la maison.
Les enfants se mettent à courir, grimpant les escaliers, faisant les fous, réveillés par la tranquille fraicheur de la maison et sans doute par l'idée de boire une grenadine bien fraîche.

Je savoure, comme on boit l'eau d'une source, comme on entre dans une église, ce moment de paix si unique, si rassurant...

La petite Jessica déboule, du haut de ses cinq ans.

- "Maman maman! Mamie elle dort"

- "Laisse là tranquille ma chérie, elle fait la sieste, va jouer avec les autres"

- "Mais mamie elle dort par terre....."

LeSongeur 2010



23/12/2010
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