LE SONGEUR EN CHIMERIE

LE SONGEUR EN CHIMERIE

UN LYS A LA MER.

 

Un matin

Un parfum de fleur

Fait chanter mon coeur.


C'est le dernier poème Haïku, écrit en Français, que j'ai reçu d'elle.

Aujourd'hui j'ai envie de vous parler de cette jeune fille du bout du monde.

Je la connais depuis environ 2 ans, elle s'est un jour posée sur ma vie, aussi légère qu'une mésange sur le bout de mes doigts.

Je cherchais des informations sur le Japon, en vue d'écrire un texte. Les chemins d'internet étant aussi imprévisibles que les réactions de la nature. De vague en vague, je me suis retrouvé à surfer sur un site de cosplay, puis sur un blog qui parle de V-Kei, ces groupes de rock japonais qui s'habillent de façon romantique, glam, ou extravagante. Une fille au pseudo marrant intervenait de façon pertinente, dans un très bon français (alors que tellement de Français n'y arrivent pas), en citant différents artistes que je ne connaissais pas. Toujours prêt à découvrir de nouvelles choses, je lui envoyais un message pour lui dire que je serais intéressé par un titre dont elle parlait comme d'une chanson absolument introuvable.

Petit à petit nous avons sympathisé, elle adorait la France, et je suis passionné par la culture japonaise. Nous échangions des conseils, des traductions, des recettes de cuisine. J'ai appris plein de choses sur des trucs de rien du tout. Si un jour je venais juste à parler du wasabi que je mettais sur mes sushis, elle partait dans des explications quant à la récolte, la préparation, l'histoire même de cette racine, les lègendes, la transformant en conte des mille et un soleil levant, me prouvant que celui que je mange n'est rien, aiguisant mon appétit, encore et encore.

Avec elle ma vision des choses devenait différente. Elle les rendait belles. Mieux encore, magnifiques!

A 19 ans, cette jeune fille pratiquement toujours habillée de blanc passe son temps à la bibliothèque de Minami Sanriku, ville portuaire assez prisée des touristes. Elle habite le quartier Shiomicho, pas loin de cette bibliothèque, pas loin de la mer.

Elle adore lire, se cultiver, se perdre dans les pages des grands auteurs. Elle a quasiment appris le français seule, complétant son vocabulaire par les mots de Voltaire, Maupassant, Molière. Elle trouve au travers de ces livres que nous sommes "bizarres". Certains concepts échappant totalement à sa culture japonaise.

Elle est admirative de Cocteau, de Villon, de Charles Cros ou de Prévert. Elle apprend des centaines de poèmes par coeur. Elle me raconte qu'elle les dit tout haut dans le bus ou le train, elle s'amuse, les gens ne comprennent rien, les salary men ne lèvent même pas les yeux. Pour elle la poésie c'est "apporter de l'eau à la plante grise qui est dans le coeur de certains". Elle veut "les voir fleurir".

Ce qu'elle adore par-dessus tout, c'est que je lui apprenne des gros mots. Les "mots des cochons" dit elle. En fait, rien de vulgaire dans ces mots-là, ce qu'elle adore c'est "saperlipopette!, mécréant! vaurien! ou Sacripan!", celui qu'elle préfère est "pignouf" et quand elle jure elle a pris l'habitude de se traiter de "cornichon!".

A travers la vie

Mes yeux se remplissent

De belles choses.


C'est le premier Haïku qu'elle m'a envoyé. Il résume bien sa vie. Elle adorait la nature, les animaux, les gens, elle prenait tout le temps des photos. Parfois elle en envoyait d'elle. Un petit visage de chat, des yeux brillants de malice, souvent une grimace ou un faisant le V de la victoire. Toujours en blanc avec un petit sac à dos.

Il y a un an elle a décoloré ses cheveux, ou peut-être était-ce une perruque. Quoi qu'il en soit, elle était devenue blonde, les cheveux presque blancs. C'était un ange...

Je ne dis pas ça comme un cliché, comme un mot affectueux, non, j'ai réalisé que pour moi elle était comme un ange sur la terre. Quelqu'un de positif, qui apporte aux gens, qui éclaire les choses. Chacune de ses longues lettres était une bouffée d'air pur. Elle joignait toujours des petits cadeaux, une photo, une recette, un poème.

Si les anges existent sur terre, elle en était un. Je n'ai jamais vu une trace de méchanceté en elle.

Elle faisait une collection de poupées Kokeshi, des petites poupées en bois. Elle en parlait avec passion, à sa façon.

"
Tu sais, j'en ai plein, elles sont très belles. C'est un peu mes enfants, traditionnellement elles représentent les enfants, mais aussi l'amour et l'amitié. C'est très ancien tu sais. C'est depuis la période Edo (le vieux nom de Tokyo) que les Kokeshis sont fabriquées, vers 1800, par les sculpteurs de bois. Si on se voit à Paris, je te donnerais une.

J'ai toute une famille de ces poupées. Pour moi c'est l'image de mes parents, et grands-parents, mes frères, et aussi mes amies. Et toi aussi tu es en poupée! Le matin, ou le soir avant de dormir, je fais des voeux pour chaque poupée, surtout quand elle est triste. Je touche sa tête ou je fais un baiser et je lui envoie de la chance. Tu vas dire que je suis un peu cornichon de faire ça LOL

Mais ça marche! Tu vois, ça fait depuis deux mois que tu es malade, et j'ai fait le voeu pour toi et tu es guéri! La vie, souvent on voit les petites choses mauvaises, mais on ne voit pas les grandes choses belles, tu comprends? Moi quand ça ne va pas, je marche sur la plage près de l'hôtel, et le vent me parle, la mer me console, j'écoute les oiseaux et je regarde le ciel. Tu as remarqué, quand on regarde le ciel, on a l'impression de voler, on ne voit plus la terre et les vilaines choses. Fais le toi aussi petite Kokeshi tête de bois!

Ce que je te donne, donne-le aux autres.

J'envoie un baiser dans le vent marin, il va faire le tour de la terre pour se poser sur tes larmes. A bientôt mon ami
."


L'oiseau envie

celui qui nage

Le poisson envie

celui qui vole


Je ne sais pas si elle était chez elle, il n'y a plus de bibliothèque, plus de trace de sa maison non plus, seul reste l'hôpital, dernier bâtiment encore debout. On m'a dit qu'elle avait pris le train avec des amies pour aller à Tokura, mais le train a disparu avec 200 personnes. On parle d'une vague de 10 à 30 mètres, que peut faire un ange face à ça?

Sur les 17 000 habitants, on a plus de nouvelles de 10 000 personnes, plus de la moitié de la ville, cette station balnéaire a été détruite à 98%. Et ce n'est pas la seule.

Misako venait d'avoir 21 ans, un âge où on aime la vie. Pour moi elle était une lumière, quelque part. Elle sera à jamais dans mon coeur.

Le destin a jeté un lys blanc à la mer.



16/03/2011
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